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    Ni Homme ni Bête

    Akhal
    Akhal


    Messages : 59
    Date d'inscription : 23/09/2011

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    Message  Akhal Mar 4 Oct - 4:23

    Gilnéas
    La cave avait été complètement vidée. La pièce puait le moisi et le renfermé, et les murs suintaient l'humidité du dehors. De profondes crevasses lézardaient les pierres et l'édifice au-dessus craquait dangereusement. On entendait même, à travers la terre, les corbeaux gilnéens croasser. Une légère brume restait en suspension à l'intérieur, alors que le silence et la pénombre régnaient dans ce lieu pour le moins glauque. Quelques chaînes pendaient du plafond et si un bruit devait briser l'absence de son omniprésente, c'était celui de leurs tintements au rythme des tremblements de terre de plus en plus fréquents.
    Puis ce fut le noir qui s'envola avec l'ouverture des deux portes menant à la surface, au sommet de l'escalier raide, dans un fracas soudain : un pied fin, protégé d'une bottine blanche et or, se posa sur la première marche. Puis un deuxième ; un rire léger et frivole se fit entendre, et enfin, la femme, puisque c'en était une, dévala les escaliers en refermant derrière elle, sa robe flottant dans son sillage. De longs cheveux bruns encadrant un visage fin et juvénile qui contrastait avec son âge réel, le port altier, ses yeux d'un noir profond scrutaient l'obscurité presque nerveusement tandis qu'elle se plongeait dans la fraîcheur moite du sous-sol. Arrivée à terre, elle découvrit, pour la première fois de la journée, celui qu'elle avait enfin réussi à capturer : enchaîné à même le sol, les bras et les jambes écartés, il n'avait visiblement plus la force de s'agiter comme il l'avait d'abord fait. Son museau frémissait tandis qu'il reprenait son souffle et ses yeux fendus regardaient dans toutes les directions ; son pelage, tâché de sang et d'ordinaire d'un gris foncé, comportait des zones où les poils avaient été arrachés ou rasés : parfois par touffes, parfois, toute une partie du corps. C'était le cas pour, par exemple, son épaule droite. Sa peau d'un rose tacheté de noir était exposée et des croix avaient été dessinées à l'encre rouge par endroits. A l'approche de la femme, le worgen tourna vivement la tête vers elle et tira sur ses liens, en vain. Ses efforts lui firent arracher un sourire, car ils l'avaient mené à cet état d'épuisement total. Or, c'était précisément ce qu'elle voulait : ainsi, il ne bougera pas.

    Choyée et chérie par tous depuis toujours, Delanya de Galia, gilnéenne et noble de naissance, âgée à présent d'une vingtaine d'années, n'avait toujours désiré qu'une chose : le divertissement. Or, elle avait trouvé, ces derniers temps, que la région s'appauvrissait en ce domaine. Depuis que le mur de Grisetête menaçait de s'effondrer, tous, mis à par quelques exceptions dont elle faisait partie, ne pensait plus qu'à partir et à fuir les bêtes telles que celle qui se trouvait allongée devant elle. Ces exceptions, elles, englobaient la plupart des enfants nobles et gâtés. Elle avait rencontré l'un d'eux plus tôt dans le mois, alors même qu'il chassait celui qui serait, selon ses propres termes, son Chien de guerre.

    Elle traîna une lourde épaulière de plaques jusqu'à la bête, des rivets dans une main et un marteau dans l'autre. Elle aussi avait fini par trouver son Chien de guerre, et cette semaine, elle pourrait le faire participer aux combats, et qui sait ? Peut-être qu'au-delà de l'amusement, elle réussirait à gagner quelques pièces grâce aux paris. En début de semaine, elle avait été ravie de constater que son piège à loup s'était refermé sur la cheville de l'une de ces bêtes immondes. Elle savait précisément qui il avait été autrefois, grâce à la cicatrice qui parcourait le côté droit de son visage, et c'était aussi la raison pour laquelle elle ne doutait pas que, s'il avait été libre, il aurait planté ses crocs avec délectation dans sa frêle gorge, et l'aurait longtemps laissée agoniser entre ses mâchoires. Elle s'agenouilla près du worgen, déposant les rivets et l'outil à ses côtés, en lui adressant un sourire angélique et en caressant la peau nue. Elle mit l'épaulière en place, et fit en sorte de mettre les cavités de la plaque juste au-dessus des croix dessinées sur sa peau au préalable. Elle tâtonna pour attraper un rivet, puis, calant la pièce d'armure qui devrait le marquer comme lui appartenant entre ses genoux, s'empara ensuite du marteau. Enfin, elle regarda la bête.

    A sa grande surprise, son regard était fixé sur elle, et au lieu de la lueur implorante qu'elle avait déjà vu chez ces bêtes et qui dénotait leur humanité restante, elle y lut la haine et la fureur, presque palpables, que le worgen éprouvait en cet instant. Elle se pencha légèrement, restant hors de portée de tout coup de crocs, et murmura, un sourire toujours en coin :
    - Akhal... Mon frère... Mon tout petit frère.
    Plaçant la pointe d'un rivet dans l'une des cavités, elle leva le marteau.

    Quelques semaines plus tôt

    Il releva la tête, fusil au poing. Les arbres l'entouraient et la pénombre de la nuit n'était clairement pas a son avantage, son adversaire bénéficiant de la noirceur de la forêt que la lune, a travers les branchages, avait du mal a percer, pour s'y terrer et attendre la moindre défaillance d'Akhal. Jusque la a genoux, essayant de se faire le plus discret possible, il se redressa lentement tout en comprenant que le worgen serait de toute façon plus patient que lui. Raffermissant sa prise sur son arme, des deux mains, il tourna sur lui-meme, méfiant au possible, écoutant distraitement le chant d'un hibou non loin. Il avait erré jusqu'aux bois après la violente dispute avec son père, a propos des fréquentations d'Akhal et de "l'image qu'il donnait a trainer dans les tavernes". Ils en étaient venus a se battre brutalement sous les yeux de sa grande sœur, qui les avait regardés faire sans intervenir. Une fois l'altercation passée, il avait marché, une main sur les cotes que son père avait frappées relativement fort. Ce fut arrivé loin dans les bois qu'il avait entendu des brindilles ecrasées, puis des grognements bestiaux. A ce moment, la bête avait littéralement sauté sur lui, et Akhal avait réussi a éviter le contact avec ses griffes ou ses crocs en lui donnant un violent coup de crosse dans le museau. Le monstre s'etait éloigné en jappant, se réfugiant dans les ombres protectrices de la forêt. Le jeune homme s'était ensuite empressé de charger son fusil tout en jetant de fréquents coups d'oeil aux alentours, nerveusement.

    A présent, il avait assez attendu.
    -Montre toi ! Viens te battre ! gronda-t-il.
    Le cri résonna entre les branches et fit taire les hululements ambiants. Il attendit. Ses phalanges blanchissaient et son regard perçant et fier était trahi par le léger tremblement de ses bras.
    Enfin, un rugissement ahurissant retentit, déchirant le silence froid, et sur sa droite, une forme sombre et massive surgit. Tout se passa très vite : alors qu'Akhal se tournait, sans viser un point précis du worgen en pressant la détente, ce dernier lui lacèra la joue droite, puis retomba lourdement au sol. L'humain poussa un cri bref en lâchant son fusil pour venir presser la profonde blessure de ses deux paumes. Le sang coulait a flot. Déchirant le bas d'une jambe de son pantalon, il le posa en réprimant un second hurlement sur la plaie qui le brulait déjà atrocement. Il avait entendu les rumeurs a propos des worgens et espérait juste qu'elles s'avéreraient fausses. Sinon...

    Il ramassa l'arme par le canon et la rechargea, puis, regardant la bête qui haletait encore au sol, localisant l'endroit où la balle avait frappé - le bas du ventre -, pointa l'extrémité du fusil sur sa tête et vit, avant de tirer de nouveau, le regard paniqué et plein de haine de la créature qui, en cet instant, semblait presque... humain. Enfin, il raccrocha l'arme a feu dans son dos, puis tituba un peu plus loin. Il devrait retrouver son chemin sans trop de mal ; sinon, il lui suffirait de marcher tout droit jusqu'a sortir du bois et retrouver la route de la ville. La-bas, il prétexterait un combat qui avait mal tourné - comme cela arrivait souvent avec ses amis, de toute façon - puis trouverait un guérisseur. Le sang imbibait déjà le tissu qui devait stopper en partie l'hémorragie, mais Il n'avait pas a s'en faire, finalement. Il écoperait probablement d'une vilaine cicatrice, mais il avait évité le pire : de ce qu'il savait, ces bêtes chassaient la plupart du temps en meute.

    Le piège a loup se referma sur sa cheville, et le fit cette fois hurler de douleur. Les dents de métal s'enfonçaient profondément dans la chair. Comment avait-il pu ne pas penser a ce risque quand les chasseurs de Gilneas ne cessaient de se vanter de leurs prises, dans les tavernes ? Il regarda le mécanisme, refoulant a grand peine ses larmes, tâtonnant pour trouver la détente qui devrait desserrer les mâchoires d'acier. Il sentit seulement une cavité. Une serrure. Il appela a l'aide sans y croire, serrant les dents, puis au bout d'un moment, vérifia ses munitions. Il lui en restait trop peu pour survivre en cas d'attaque groupée. Réalisant qu'il devrait passer la nuit cloué au sol, seul et en forêt, il pria pour que la meute du worgen soit loin.

    Il n'avait pas dormi de la nuit, les dents de métal mordant un peu plus dans la chair a chaque mouvement de la jambe. Sa joue taillée en deux le lançait horriblement et c'est ce qui l'avait tenu éveillé : a chaque larme versée, c'était une intense brulure de plus. Un ou deux centimetres de plus et l'oeil était touché : il devrait probablement se penser chanceux, mais dans sa position actuelle, recroquevillé dans l'herbe et les brindilles, la cheville emprisonnée de deux mâchoires d'acier et a la merci du moindre prédateur qui passerait, cela lui était impossible. Les chasseurs sortaient de la ville tous les matins ; il n'avait donc pas cessé de crier a l'aide, en vain jusqu'à présent. Peut-être était-il enfoncé trop loin dans les bois pour être retrouvé.

    Et dans ce cas, il n'allait pas se laisser mourir de faim. Il regarda a nouveau le dispositif en détails : les dents s'étaient plantées juste au-dessus de la cheville, et le piège en lui meme était profondément enfoui sous la terre, si bien que la seule chose a laquelle Akhal parvint en tirant sur son pied fut d'aggraver sa blessure. Il tira le couteau de sa ceinture. Il avait deja entendu parler d'animaux comme le renard qui, lorsque dans sa situation - une patte prise au piège -, se rongeaient cette dernière pour échapper aux chasseurs. Il ne se pensait pas capable de "ronger" son pied, mais... Se courbant un peu, il releva l'etoffe de son pantalon et posa la lame du couteau juste au dessus des dents d'acier. L'instinct de survie, hein ? Il s'était toujours servi de cette notion pour se faire excuser de tout et n'importe quoi, mais maintenant qu'il sentait réellement ce sentiment poindre en lui, il douta de son cran. Et si la blessure s'infectait ? Et s'il se vidait de son sang avant d'atteindre la ville ? Il devrait planter trois fois le couteau s'il voulait couper pour de bon ; a supposer qu'il ne s'evanouisse pas au premier, l'un des deux autres aurait assurément raison de lui ; et lorsqu'il sera inconscient, l'hemorragie continuera : il ne se réveillera surement pas.

    Le tout pour le tout. S'il ne faisait rien il y resterait. Il regarda le couteau et appela une dernière fois à l'aide. Silence. Il serra les dents et écarta la lame de la blessure, prêt a frapper et a déchirer la chair. Puis des éclats de voix retentirent, comme en réponse a son cri de détresses. Lâchant son arme, il leva les yeux vers la direction dans laquelle il les avait entendus et ordonna presque :
    -Par ici ! Venez !
    Quelques minutes plus tard, le pied d'Akhal, bien que mutilé, était libéré de sa prison de fer par deux chasseurs gilnéens. De ce qu'il en avait compris, il était dix heures passées. Sa blessure au visage, toujours luisante de sang a moitié coagulé, avait été bandée rapidement. Ils le ramenaient a Gilneas.

    Outre sa cheville et sa joue, il se sentait étrangement fiévreux, et furieux. Peut-être que l'une de ses blessures s'était bel et bien infectée.

    ...

    L'adrénaline. L'odeur du sang et de la chair déchirée. La balafre encore fraiche sur son visage avait été rouverte par un coup de griffe perdu de la part de son adversaire, et l'épaulière greffée a son épaule commençait a peser sérieusement sur sa droite : cette fois, Akhal était conscient qu'il perdait. Et dans les caves de Gilneas, la défaite signifiait la mort. Le worgen était devenu le chien de guerre et, après avoir gouté a la liberté sauvage, il se retrouvait lié a cette humaine par le morceau d'armure qui pendait, accrochée par des rivets sous la clavicule, a se battre pour sa vie et leur divertissement.
    Assis dans un coin de la pièce humide et dont l'air était poisseux des massacres précédemment perpétrés, une bande de sept ou huit jeunes hommes et femmes regardaient, bras croisés, les deux bêtes se battre. Leurs habits contrastaient avec l'environnement glauque qui les entourait : richement vêtus, pour la plupart des chemises ou robes légères brodées d'argent et d'or : l'un d'eux avait même, a la ceinture, une épée dont le pommeau avait été criblé de pierres précieuses. Leurs bottes avaient été salies par la boue du dehors et leurs cheveux étaient trempés : visiblement la pluie tombait drue ce jour, dans les contrées de Grisetête.

    Le silence régnait et seuls la lourde respiration et les grognements des chiens de guerre le brisaient. Le museau en feu et trempé de sang, Akhal attaqua le premier, mettant fin a leurs immobilisme commun : d'un rapide coup de griffe, il lacéra le flanc de son congénère dans un grognement sourd, mais la blessure était trop superficielle pour que le balafré puisse penser lui faire perdre autant de sang qu'à lui. Par chance, et surpris par la vive offensive, l'autre ne réagit que bien trop tard, et en même temps qu'il amorçait un bond en arrière, cinq griffes se plantèrent profondément dans le poitrail. Interrompu dans son mouvement, il s'écroule en arrière en couinant ; Akhal grogna de plus belle et, bondissant a quatre pattes, attrapa le cou de son adversaire entre ses mâchoires. Et tandis qu'il secouait la tête avec véhémence jusqu'à entendre le craquement qui signerait sa victoire, il sentit une violente secousse, et entendit, comme au loin, les cris des jeunes nobles. Toujours avec son fardeau sanglant entre les crocs, l'appui de ses pattes fut soudainement mis en déroute par une violente vague. De l'eau s'engouffrait dans la cave.

    La débandade commença. Les humains sortaient en courant de la pièce, alors qu'Akhal levait la tête en lâchant enfin sa victime qui tomba dans l'eau en la teintant instantanément de rouge. Il cherchait sa propriétaire du regard, frénétiquement. Il vit l'étoffe de sa robe au moment ou elle disparaissait au dehors. Il galopa jusqu'aux escaliers et les gravit a toute vitesse, bousculant les nobles qui s'y trouvaient et en faisant tomber certains, poussant des aboiements furieux et menaçants.

    Il sortit enfin a la lumière du jour, qu'il n'avait plus vu depuis maintenant plusieurs heures, et ce qu'il vit le fit se redresser sur ses pattes arrières : une énorme vague avançait vers la cote de Gilneas. L'épaule endolorie, il reprit sa folle course, cette fois-ci non plus pour la vengeance, mais pour la survie : sa soeur pourrait attendre, il la retrouverait un jour ou l'autre. Il courut rageusement, traversant la plage et les vergers, la secousse s'intensifiant au fur et a mesure que le raz-de-marée approchait. Il fallait qu'il atteigne les hauteurs. Il fallait qu'il atteigne les hauteurs avant que...
    La vague s'abattit dans un grondement phénoménal, et le worgen disparut dans un faible jappement, balloté par les flots.

    Le worgen courait. De nouveau dans ces bois, il dévalait une pente douce, slalomant entre les arbres et jetant un œil par dessus son epaule gauche ; celle qui n'était pas habillée d'une lourde épaulière. Il entendait les voix des mercenaires a l'orée de la forêt et gronda bas, accélérant l'allure. Cela faisait maintenant plusieurs heures qu'ils le suivaient a la trace et quelle que soit la vitesse avec laquelle il courait, il avait l'impression que leurs torches étaient toujours a seulement quelques mètres derrière lui. Il avait été éraflé plusieurs fois de balles, au bras, et sentait le pelage entourant le rivet principal de son épaulière s'imbiber de son sang. Son cote droit commençait a peser sérieusement et il doutait vraiment de ses chances de survie avec un bras en moins. Il s'autorisa un instant de répit, plaqué derrière un tronc imposant.
    Parmi ses nombreux poursuivants, un seul souriait. Une large cicatrice sur la droite de son visage l'avait défiguré : partant du haut de son crâne jusqu'a la pointe de son menton pointu, il se souvenait parfaitement du Naga a qui il la devait. Voyager sur les mers n'était pas de tout repos, surtout lorsque les gilnéens avaient été privés des flots pendant si longtemps. Il tira le sabre rouillé de son fourreau en se remémorant ce combat : il avait du choisir cette balafre pour permettre a son adversaire d'ouvrir sa garde. Là, il avait simplement tranché le bras qui tenait l'arme avant de nettement planter la sienne sous la mâchoire de l'homme reptile. Il n'avait jamais raconté cet épisode a l'équipage, pour la bonne raison qu'ils avaient de toute manière tous des histoires semblables en réponse a la sienne.
    Et il y avait a présent une semaine jour pour jour, les pirates étaient revenus en Gilneas, faisant escale avant de descendre jusqu'à Menethil. Quelques heures seulement après que les amarres aient été larguées, alors qu'ils riaient tous en regardant la serveuse danser a la taverne la moins bien fréquentée de la ville, une femme encapuchonnée avait demandé a parler au Capitaine. De ce qu'il avait compris, c'était la raison pour laquelle ils couraient cette nuit a la chasse au worgen. Il sourit a sa propre ironie : l'individu était poursuivi par l'equipage des flots impétueux. Une meute. De sa position, il ne devait voir que les torches ; pas les worgens qui galopaient en le suivant a la trace, montrant les crocs.
    Delanya courait, elle, dans la direction opposée. Maintenant qu'elle avait envoyé ses mercenaires aux trousses de son frère adoré, il ne lui restait plus qu'à les attendre a l'endroit convenu. Ils avaient leurs ordres, mais elle et eux ne devaient pas être vus ensembles. Ainsi, elle devait trouver un moyen de quitter Gilneas rapidement, discrètement et sans aucun risque. Sa robe voletait derrière elle et l'océan formait de petites vagues en rythme avec ses pas rapides. Une question, ou plutot une vague inquietude lui vint a l'esprit. Et s'ils ne revenaient pas ? Elle leur avait deja donne la moitie de ce qui devait etre une somme raisonnable au final. Elle s'autorisa un sourire bref et tranchant : si tant est que ces pirates n'en feraient qu'à leur tête, Akhal saurait bien s'attirer leurs foudres seul. Elle secoua la tête ; pour le moment elle devait simplement partir.

    Ils avaient finalement mis la main dessus. Le pirate souriait toujours. Il devait s'être cru a l'abri derrière ce tronc, et cela aurait été le cas si ses adversaires n'avaient pas pu le pister au flair. Il avait manifestement encore beaucoup a apprendre et pas assez de temps pour le faire. Ils auraient certainement pu échanger quelques mots avant que le premier coup ne parte si lui, "Akh" comme l'avait présenté sa sœur, avait pu recouvrir comme eux leur humanité derrière la bestialité. Le deuxième coup avait fait jaillir le sang du museau et le troisième l'avait envoyé au sol, haletant. Le poursuivant a la cicatrice se pencha vers lui. "Ta seule chance de survie, c'est te battre. Te soumets pas", pensa-t-il en le regardant. Ses hommes, lassés de cette longue traque, défoulaient enfin leur rage qui avait monté en eux au fur et a mesure de leurs foulées. Plutôt que de se servir de leurs crocs et leurs griffes, ils s'acharnaient a le rouer de coups de patte dans les cotes, lui arrachant un jappement et une nouvelle gerbe de sang. Bats-toi !
    Akh se releva comme il pût une première fois, roulant sur le coté juste après, puis se redressant autant qu'il lui était possible de le faire. Et sans que les mercenaires ne cessent leurs coups, il se mit a trancher et a claquer des mâchoires dans la masse que formaient des ennemis autour de lui. Oh, ils finirent par le remettre a terre pour de bon. Mais plutôt que de décider de l'achever, il leva la main pour calmer leurs ardeurs.
    « Que la noble aille se faire voir. Ce type là est pour nous. »


    Au large de Menethil.

    Toujours ligoté et roulant d'un côté de la cale a l'autre. Il n'avait pas été bâillonné, pour la simple et bonne raison qu'ils l'avaient enlevé sous forme worgen. Après un ou deux jours, ils lui avaient fait boire le contenu d'une fiole, de force, lui enfonçant un entonnoir entre les mâchoires et les maintenant en place à l'aide d'une cordelette. Il avait presque instantanément pu reprendre forme humaine, peut-être un peu trop aisément et avec trop de confort dans ses gestes, et depuis, il n'avait pas bougé de la cale, les mains liées dans le dos. Certes il pouvait bouger les jambes, mais a quoi bon étant donné qu'il était cerné par une meute de pirates worgens ? Il remua faiblement en grognant. Ils l'avaient habillé d'un pantalon trop grand pour lui, ses vêtements s'étant déchirés après sa première transformation, mais n'avaient pas pris la peine de lui coudre une chemise adaptée, a cause de l'imposante épaulière qui occupait son epaule. La nourriture qu'il obtenait était loin d'être de fins gourmets, mais il se forçait pour ne pas mourir de faim ou de fatigue.

    Il sentait les ondulations de la mer contre la coque et, alors qu'il ronchonnait une nouvelle fois, une secousse plus forte que les autres frappa le navire de côté, envoyant Akhal rouler contre le bois. Des cris s'élevèrent du pont en meme temps qu'il se relevait d'un bond. L'eau s'etait infiltrée dans la cale ; visiblement une vague s'etait abattue sur le bateau. Nouvelles clameurs. Vacarme ahurissant et grondements marins ; il se décida a remonter et arriva en trombe a l'etage supérieur ; la ou les canons et leurs boulets étaient entreposés. Un autre arriva, le regarda et, sans rien dire, se dirigea vers un baril de poudre, probablement pour le mettre a l'abri. Akhal le regarda faire, abasourdi par ce calme froid dont le pirate faisait preuve : il n'avait pas dit un mot, ne s'était pas plus attardé sur ce prisonnier. En était-il vraiment un, finalement ?.. Soudain, une autre secousse et le bateau bascula un peu sur le cote. Les boulets, qu'étrangement, rien ne retenait, commencèrent a basculer dangereusement, puis alors qu'une deuxième vague venait frapper le navire, se mirent a s'abattre vers eux, perçant la coque, comme une pluie dévastatrice. Et l'homme explosa. C'est du moins ce qu'il sembla au brun : le pirate avait eu le torse enfoncé par l'une des lourdes sphères de fer, et avant de défoncer le bois violemment et passer a travers, ses quatre membres volèrent un peu plus loin dans une gerbe de sang.

    Alors, l'eau s'engouffra par les nombreux trous et le bateau se coucha pour de bon sur le côté. Akhal glissa, s'écorchant le bout des doigts sur les planches et se perçant la peau d'échardes, marquant profondément le bois de ses ongles, jusque dans la mer, tandis que les boulets continuaient de tomber avec lui. Dans sa chute, il roula sur le côté par trois fois pour éviter que son crâne ne termine réduit en une pulpe sanglante ; par deux fois, il évita le même sort à sa main. Les yeux ouverts sous l'eau, il vit d'autres hommes plonger, d'autres corps couler. Et alors qu'il voyait s'approcher de lui le pirate a la balafre, en brasse, qui criait des mots que le vacarme lourd de la surface de la mer brisée produisait, l'une des planches se détacha vivement et vint le frapper violemment au visage. Il se sentit couler tandis que le sang s'échappant de son nez et sa lèvre ouverte brouillait l'eau autour de lui, perdant lentement conscience. Il eut le temps de sentir la peau cornée de la main de l'autre autour de son cou, serrant rudement, avant de sombrer pour de bon dans l'inconscience.

    Il se réveilla sur la cote des Paluns et cracha un peu d'eau salée. Clignant des yeux rapidement, il tâtonna autour de lui. Il sentait son epaule en feu qui avait recommence a saigner, et son visage le lançait. Il posa la main sur un tissu trempé et regarda en coin ; la gisait le corps du pirate qui l'avait sauvé de l'epave. Il regarda au loin : le ciel était toujours noir et les vagues toujours hautes, mais le navire avait coulé. Autour de lui, la mer ramenait des débris, bouts de bois, voiles déchirées, et en quantité moindre mais, évidemment, des cadavres. Il se releva et se pencha sur la dépouille du balafré, puis décrocha le fourreau de son sabre rouillé de sa ceinture d'armes et le garda en main. Sans s'arrêter plus, ni hésiter, sans remords pour ce vol et poussé par l'instinct de survie, il commença a marcher vers le port de Menethil ou il s'arrangerait pour trouver une monture. Il se savait chanceux : il aurait pu mourir contre ce worgen, dans ces caves, dans le Cataclysme, contre cet équipage, dans la forêt, et ce jour, dans ce naufrage.

    Il espérait juste que sa chance persisterait.
    Akhal
    Akhal


    Messages : 59
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    Message  Akhal Mar 4 Oct - 4:24

    Après la fuite, quatre mois plus tard


    La Baie ! Repaire des pirates de tout Azeroth, lieu ou se mêlent marins ivrognes, combats au sabre, contrebande et escrocs. Un véritable coupe-gorge la nuit tombée et le jour, une destination telle qu'Akhal en avait toujours rêvé. Il avait grandi sur la cote de Gilnéas, et quand il avait été élevé sous les histoires de navires marchands et explorateurs, lui ne pensait qu'a une chose : voguer loin de cette prison et découvrir le monde. En ces deux buts il avait échoué : il ne pût fuir les terres de Grisetête qu'après le Cataclysme, et, arrivé a Hurlevent ou il ne pensait que s'arrêter brièvement, il s'était presque directement attaché a une bande qui semblait a ce moment bien plus démunie que lui. Jormundur, Lokrahj, Arthur et... Justine Duvall, Nayaa Alianor. La mage. C'était elle qui lui avait proposé de venir ici la première fois. Elle qui avait d'abord été pour lui une amie, presque une soeur. Mais depuis cette soirée sur l'autre continent, il était forcé d'admettre qu'il évitait de rester seul avec elle. Lui faisait-elle peur ? Non, pas vraiment. Plus vraiment. Il serait plutôt gêné, voire intimidé en fait. Le réflexe de se limiter et de chercher a capter son regard s'était installé naturellement et d'un autre côté, il faisait tout pour, contrairement a certains autres du parvis, le cacher.

    Et ce soir, alors qu'il était pour la troisième fois assis sur le ponton, cette femme l'avait fait réfléchir. Bien plus que la Tryade ne l'avait fait jusqu'à maintenant. Ah, la Tryade. Le jour ou il avait appris qu'un groupe organisé, nombreux et équipé voulait leurs peaux, il avait failli repartir a Gilneas - ce qu'il avait fait plus tard, après une attaque des hommes d'Oracio sur ses amis qui s'était soldée par un emprisonnement massif dans les geôles de la caserne. Puis il avait demandé conseil a la blonde, Mayan. Ils avaient commencé par trouver Stanimir. De lui, ils avaient obtenu le nom du patron de celle qui commettait des vols a mains armes en leur nom : le Rictus. Doutant de la blonde, il l'avait doublée concernant la demande de témoignage de Luinway. En échange il avait du trouver des munitions et du poison pour ce gang ; il eut de la chance en tombant sur un ingénieur allié aux écclésiastes pour les premières, mais il n'avait pu se procurer les poisons. Puis Aellissa avait trouvé à quel groupe appartenait la mercenaire : le syndicat. Il devrait encore l'attendre deux jours pour apporter les preuves a la caserne. Pendant ce temps l'ami chevalier de la mort de Lok' avait obtenu les avis de Jonesy. La veille, lui et son employée avaient été embarqués par la garde.

    C'était aussi Mayan qui l'avait présenté a Jormundur. Et depuis il se démenait pour eux : Nayaa n'était pas la seule a le faire cogiter. Lui qui s'était promis de ne plus s'attacher a qui que ce soit après l'épisode sanglant des Chiens de guerre, voilà qu'il se battait a présent pour une bande de sans-le-sou.

    Il tira une roulée de tabac de Stratholme de sa poche et se releva, marchant un peu vers le bateau qui menait a Kalimdor. Il avait du réunir toutes ses économies pour pouvoir n'y faire qu'un aller-retour, vers Theramore précisément. Et c'est pourquoi il réfléchissait et réfléchissait encore plutôt que de se laisser porter comme elle le lui avait conseillé. Ces pièces d'or gagnées un peu n'importe comment, pour lui qui s'avouait lui-meme assez avare parfois, il ne les aurait normalement pas dépensées de cette manière. Que pouvaient lui faire les insultes d'un pirate envers elle en temps normal ?

    Les voilà. Elle et Arthur, le nouveau chef de bande, aux dernières rumeurs. Il n'aimait pas l'idee d'une hiérarchie. Depuis le début, on lui avait dit qu'il n'y avait pas de meneur et qu'ils étaient tous, au final, "cinq clodos comme les autres". Il fronça les sourcils quelques instants après leur arrivée. "Fêter son célibat" ? Il s'inquiéta un peu et la regarda en coin tout en s'efforçant de garder un ton dégagé. Légère tension, ennui omniprésent ; instinctivement, chercher a se battre, rire. L'occuper. Puis elle s'en alla, et Akhal la regarda faire avec un sentiment mitigé : soulagement et dépit mêlés. Il la laissa tout en sachant qu'elle n'allait pas vraiment bien : peut être lui en parlerait-il le lendemain. Il n'était pas un bon conseiller en histoire de cœur pour la bonne et simple raison qu'il n'en avait jamais réellement eu lui-même. Il ne vit pas ou elle partit : il lui faisait confiance pour lui dire, a un moment ou a un autre et malgré leur récente discussion où il lui avait avoué avoir du sang noble, où elle était allée.

    Suite au départ d'Arthur quelques minutes après, il se remit a réfléchir. Il prônait sa liberté sauvage a qui voulait l'entendre et pourtant il savait que si Oracio s'en prenait a elle en particulier, il serait acculé. Au final, pensa-t-il alors que les cris de Ark rejoignaient ceux des pirates saouls a la taverne, il avait quitté l'enfer de Gilneas et ses combats a mort pour trouver une autre prison, dans un sens : celle de l'amitié.
    En remontant vers l'abri à griffons, il se dit, en glissant les mains dans ses poches, que peut-être devrait-il reconsidérer les options de se laisser porter et voir la suite, ou bien celle d'enfin partir sur les mers.


    Hurlevent, un mois plus tard

    -'Vot' avis, j'prends une rouge ou une blanche ?
    Elle fronça les sourcils en détaillant l'homme qui se tenait face a elle, de l'autre cote de son chariot a fleurs : brun, les cheveux plus ou moins propres mais coiffés a la va-vite, une barbe présente mais les traits relativement jeunes et barres sur la droite d'une cicatrice, les joues un peu rouges - visiblement, il était gêné de sa demande ; une tunique passée sur une chemise déchirée, tous deux portant de vieilles taches inlavables, un fusil dans le dos bien entretenu, en bandoulière, un sabre et un couteau de chasse rouillés a la ceinture ainsi qu'un communicateur rafistolé et un pantalon trop grand pour lui. Mais surtout, ce qui attirait fréquemment le regard de la fleuriste était l'imposante pièce d'armure qui pendait a son épaule droite.

    -Euh... Ça dépend pour quoi ?
    -Pour m'faire pardonner... J'crois.
    -Comment ça vous croyez ? Euh... C'est bien pour une femme ?
    -Ben évidemment vous m'prenez pour qui 'spèce de greluche ?!
    -Désolée, désolée !
    Elle ne se serait pas laissée parler ainsi si l'homme n'avait pas une poignée de pièces d'or dans la main. Et il n'avait pas l'air de connaitre les prix des fleurs... Peut-être pouvait-elle, légèrement, orienter son choix.
    -La blanche me semble adaptée au pardon, mais a en juger vos joues écarlates (il porta directement les mains a son visage), vous avez autre chose a lui dire, n'est-ce pas ?
    Elle sourit en coin en le voyant se dandiner, et se passer une main a la nuque.
    -Euh ben... Pas forcément mais p'têt quoi... Enfin pas forcément. Enfin j'voudrais lui faire plaisir aussi.
    -Je vous propose d'acheter une de chaque ? Je suis sûre que vous avez assez, et en rajoutant seulement quelques pièces je les assemble définitivement.
    Il fronça les sourcils et compta ses pièces.
    -J'ai quarante-deux... C'combien ?
    Elle fit mine de réfléchir.
    -Eh bien, les deux fleurs séparément ne couteraient qu'environ dix pièces d'or. Mais le fait d'entremêler deux tiges de roses nécessite une maitrise parfaite du métier pour ne pas les briser, et cela risque de tripler le prix... En même temps que de faire de même avec l'intérêt esthétique !

    Il prit un instant de réflexion, et grommela en lui tendant trente pièces. Elle tira une rose blanche et une autre rouge et emmêla les deux en se retournant. Comme elle s'y attendait les tiges se cassèrent, et elle avait prévu la parade : murmurant une prière mineure a la lumière, elle fit régénérer les fleurs et, dans un élan de pitié pour ce pauvre jeune homme qui avait dépensé naïvement tant d'argent pour quelque chose qui en valait dix fois moins, leur donna assez de vie pour ne pas faner avant plusieurs années. Elle obtint deux roses en vrille, et cligna des yeux en voyant le résultat. Puis elle les lui donna avec un sourire satisfait.
    Lui aussi sourit, bien que brièvement, et rangeant son argent, il s'éloigna en criant un "Merci, bonne journée !", roses en main.
    Akhal
    Akhal


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    Message  Akhal Mar 4 Oct - 4:25

    Gilnéas, il y a quatre ans.

    Le doux roulement du tonnerre au loin le suivait alors qu'il marchait d'un bon pas, les manches de sa chemise en soie retroussées, à travers le long couloir éclairé des chandeliers resplendissants, au premier étage de la bâtisse ; compagnon invisible mais bien présent, menaçant, éclatant parfois lorsque la foudre tombait, toute proche de la grande maison. Il n'avait jamais eu peur de l'orage, bien au contraire : ça et la pluie l'aidaient à trouver le sommeil, d'ordinaire. Il frotta ses mains l'une contre l'autre dans l'espoir d'en retirer le plus gros de la terre ou de la poussière qui s'étaient toutes deux logées entre ses doigts et sous les ongles lors de cette journée qui trouvait enfin – ou plutôt, maintenant qu'il avait été mis au courant, trop tôt – son terme. Le son de ses bottines, neuves il y avait encore une semaine, tâchées de boue à présent, retentissait dans la longue allée qui s'ouvrait sur une chambre plongée dans la pénombre. Il entendait déjà les plaintes de sa belle-mère, faibles pourtant, mais déchirantes.

    Plutôt petit pour son âge, Akhal de Galia, la peau légèrement halée depuis peu, venait d'apprendre la nouvelle. Il était rentré, tranquille, désinvolte, au foyer, après son escapade près du cimetière, entouré du cercle d'amis habituel, et avait cru, ou plutôt espéré, que Delanya le rejoindrait ; évidemment, en vain. Sa soeur était restée ici, pour s'occuper de celle qui était un peu malade depuis quelques jours seulement : l'épouse de leur géniteur. Elle avait donc eu, il lui avait semblé, un certain plaisir malsain à lui annoncer que son état s'était aggravé durant la journée. D'une légère toux, elle était passée à une autre, sèche, qui semblait lui déchirer la gorge à chaque soupir ; d'une fièvre tiède, elle gardait maintenant un front brûlant, transpirant ; de légères nausées, elle avait à présent l'impression de sombrer dans le vide en continu. Elle ne cessait de répéter « je lui reviens » - pour Akhal, cela pouvait signifier qu'elle allait revoir son mari : elle était veuve. D'habitude resplendissante et irradiant presque la Lumière elle-même, Lumière à laquelle elle s'était dévouée en tant que fervente prêtresse de la Cathédrale, elle portait de simples robes qui revenaient, après un temps, à l'aînée d'Akhal. Destinée à poursuivre le chemin de sa mère, Delanya les acceptait avec reconnaissance... Jusqu'à ce que ses amis la décident à suivre son propre chemin qui devait être celui d'une athée dépravée, sombrant dans la débauche aux heures les plus tardives en compagnie de ces mêmes compagnons nobles et jeunes, trop gâtés du point de vue d'Akhal.

    Droit, fier et impassible en dehors de la chambre.

    L'angoisse l'engouffra quand il posa une main sur la porte ouverte pour observer ce qui allait probablement être le lit de mort de celle qui les avait élevés depuis maintenant quatorze ans ; la quarantaine, mais elle ne la faisait pas. Des yeux étrangement du même bleu que celui des enfants dont elle s'était occupée, grands et curieux, les sourcils toujours légèrement froncés sur une expression concentrée qui pouvait prêter à rire. Un éclair zébra le ciel, proche de la fenêtre, interrompant le ronronnement de la tempête proche en éclatant dans un vacarme bref ; éclairant l'espace d'un instant l'intégralité de la pièce, il permit à Akhal d'observer la prêtresse étendue. La peau moite, transpirante, le visage tendu sur une douleur visible – ou peut-être sur un effort pour retenir sa toux en voyant celui qu'elle considérait depuis le début comme son propre fils – elle l'invita pourtant à approcher d'un geste de la main. Il s'exécuta, jamais sans la regarder dans les yeux ; la pièce était simple, carrée, et le lit était situé presque au milieu de celle-ci, mais contre un mur. Occupant à peine un cinquième de l'espace, le jeune homme pût s'agenouiller comme il l'entendait, cognant le parquet des genoux, s'effondrant plutôt, pour venir serrer l'une des mains de la mourante des deux siennes, tremblantes et crispées.

    Il refoula les larmes.

    Lâchant sa main, il vint caresser son visage et ses cheveux, l'accompagnant dans ses plaintes brèves, gémissantes - brisée, elle éclata en sanglots. Pendant un moment, il ne sût que faire ; enfin, il se redressa un peu, pour la serrer dans ses bras, craintivement, comme s'il avait peur d'écraser ses poumons déjà torturés et rapprocher sa fin. Un long frémissement le parcourut, un frisson de peine comme il n'en avait jamais ressenti jusqu'alors. Choyé, bien éduqué, il avait su profiter de ce que ses parents avaient mis à sa disposition pour devenir un homme cultivé et respectable. Les bonnes manières, le port du torse, l'art des mots. Mais rien ne comptait plus à présent ; il savait ce que sa belle-mère allait lui demander de sacrifier, et il savait qu'il se devrait d'accepter sa dernière volonté. Elle lui avait donné beaucoup : elle s'apprêtait à présent à se reposer. Elle prit alors la parole, d'une voix faible, rauque, et ce faisant, elle redoubla de pleurs, sa gorge se déchirant à chaque son s'extirpant tant bien que mal de ses lèvres pâles :
    « Mon fils... Je lui reviens..
    -Tu ne peux pas me laisser pour lui. Il est mort. »
    Silence – ou presque. La pluie battait contre les carreaux alors qu'elle semblait réfléchir, un peu surprise. Enfin :
    « Pas à lui, mon Akhal. Je reviens... A la Lumière. »
    Un sursaut soudain l'anima, lui. Et, tombant sur les fesses contre les planches de bois vernies, il recula précipitamment jusqu'au mur, les yeux grands ouverts.
    « Elle te reprend à nous. A moi.
    -Elle m'accueille. Comme elle le fait et le fera avec tout. Je meurs, Akhal. Mais c'est le début... D'autre chose. Autant pour moi que... Pour toi et ta soeur. Je vois se profiler votre discorde. Promets-moi de faire ton possible pour l'éviter... De faire ton possible pour... »
    Toux violente, nouveaux sanglots.
    « Laisser... Ces enfants des rues... Et rejoindre Delanya... »

    Akhal marqua un temps, terrorisé autant qu'abasourdi par sa demande, toujours contre le mur. Les yeux brillants, il leva les mains, comme ils en avaient l'habitude plus tôt dans leur vie, et murmura un simple « promis », tel un enfant pris en faute - il avait eu du mal à comprendre ses sentiments à ce moment, mais il se rendit compte plus tard que ce mot avait été empli de rancoeur et de tristesse. Il se redressa lentement, la peine et la souffrance quittant peu à peu ses traits pour être remplacés par son habituel masque d'impassibilité, presque froid en un instant pareil. Lentement d'abord, puis plus rapidement, il s'éloigna du lit, puis retrouva la lumière douce du couloir, reprenant un air altiers. Il entendait son nom prononcé, des « Akhal » amoindris, toujours plus ; mais aucun ne le fit se retourner, ni fit s'interrompre sa demi-course pour fuir la prêtresse.

    Oui, l'orage l'aidait à s'endormir. Pas ce soir.
    Akhal
    Akhal


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    Message  Akhal Mar 4 Oct - 4:26

    Lettres aux disparus
    Akhal
    A côté du Lampadaire
    Lokrajh
    Forêt des Pins argentés

    A Hurlevent, 5 août

    Je pense pas que tu reçoives cette lettre.
    Je t'écris pour te donner des nouvelles. Dans le cas où justement, si, alors réponds-moi et donne-moi des tiennes. Ici, tout va bien. Les tensions se sont calmées, pour le moment, comme tout le reste, d'ailleurs. J'évite Ceylia. Elle veut savoir qui sont les coupables de l'explosion de sa chambre. Moi, je veux juste... M'éloigner d'ici. Jör' et John vont bien, aussi. John a fini par virer Pillia, et il est avec Adèle. Ou Annabelle... A moins que ce soit... Enfin, tu vois de qui je veux parler. Jör' est fidèle à lui-même.
    Et de ton côté ? Est-ce que tu retrouves ta mémoire ? Tu les as trouvés, ou est-ce que tu cherches encore ? J'ai parlé à un elfe de cette affaire. Il en a conclu que la justice avait pas été rendue. Tu te rends compte de ce que tu deviens ? J'aurais jamais cru qu'un jour, tu « rendrais justice ». J'ai un petit sourire quand j'écris ça ; pourtant, je sais pertinemment que si j'avais pu venger Nayaa avant, tu n'aurais pas eu à partir, et à faire ce que tu t'apprêtes à faire. Je l'ai pourtant eu devant moi, et j'ai pourtant eu mon couteau juste sous sa gorge.
    J'avais promis ; pardonne-moi.
    Reviens-nous entier et sobre.
    Akh'
    Akhal
    A côté du Lampadaire
    Nathan Hodgkin
    Front du mont Hyjal

    A Hurlevent, 5 août

    J'espère que tu recevras cette lettre.
    Ici, tout va bien. Hurlevent est calme, pour le moment. « Avant la tempête »... Heïtys va probablement devenir folle et sauter sur une amie à toi pour lui écraser la tête sur les pavés (je plaisante). Tu sais... Une un peu sauvageonne. A Sombre-Comté, ils ont laissé s'échapper le... Euh... Worgen domestiqué pour « qu'il puisse voir le monde de ses propres yeux ». Azunaï a quitté la garde ; « Ficelle » aussi. Il y a des tensions entre Veldrin et Manus, pour une histoire de condamné par naissance... Et mon épaulière a été limée presque entièrement. Une dernière séance devrait suffire. J'ai raconté quelque chose à la Veillée, j'aurais aimé que tu sois là. Toi, Fendrel... D'autres.
    Et toi ? J'entends beaucoup parler d'Hyjal. Près du Poteau, je vois énormément de familles et autres venir pleurer un proche disparu. D'habitude, je fais promettre à mes amis de revenir en vie et en bon état ; j'ai oublié pour toi, alors je te le demande ici. J'ai pensé à te rejoindre là-bas. Je ne sais pas me battre avec des armes et je me brûlerais probablement les pattes à vouloir me battre contre un élémentaire comme je l'ai fait à Gilnéas, mais je pourrais garder un oeil sur tous les amis que j'ai là-bas. Tous ceux que je connais et qui y sont ne se battent pas pour Azeroth, mais pour oublier. Sauf toi, à présent – sauf si tu m'as menti, mais je pense pas. J'ai du mal à saisir comment on peut vouloir oublier en risquant sa vie. Je te l'avais dit, à l'époque, non ? S'approprier une guerre qui est pas la nôtre, ça nous mène tout droit à la catastrophe.
    Je pense venir d'ici quelques jours – ou semaines, tout dépendra de ce qui se passe ou non ici.
    Fais gaffe à toi !
    Akh'
    Akhal
    A côté du Lampadaire
    Fendrel Haganon
    Front du mont Hyjal ?

    A Hurlevent, 5 août

    Salut.
    J'écris au Front à tout hasard. Vous avez pas laissé de traces ; tout le monde s'inquiète ou vous en veut. Moi, je suis surtout inquiet. Vous avez été celui à être descendu dans les geôles en premier ; on vous cherche. On s'est pas vus beaucoup depuis que je suis sorti de la Caserne, mais...
    Votre disparition a rendu Azunaï triste et sur les nerfs. Elle a l'air de vous faire confiance. Ça et le départ de « Ficelle », comme ils disent, l'ont poussée à partir à son tour. Tout va bien ici. Le mois dernier a été plutôt agité. Trois de mes amis ont été tabassés, l'un d'eux a perdu un oeil. Sinon, il n'y a plus grand-monde en ville ces jours-ci. Je suppose que ça redeviendra tendu lorsqu'ils reviendront.
    Est-ce qu'on vous reverra ici un jour ? Nathan est à Hyjal ; si cette lettre arrive à vous, c'est que vous aussi. Si c'est le cas, rejoignez-le, d'accord ?
    Je tiens toujours la promesse que je vous ai faites, à tous les deux. Même si je la malmène.
    Attention à vous,
    Akh'
    Akhal
    A côté du Lampadaire
    Aellissa Windred
    Front de Gilnéas

    A Hurlevent, 5 août

    Ça fait un moment, à présent, qu'on t'a sortie des décombres de ce bateau.
    Au final, est-ce que tu étais bien vivante, lorsqu'on est rentrés à Hurlevent tous les trois, ou est-ce que c'est les effluves des Réprouvés qui nous sont montés à la tête ? Nayaa avait l'air de t'en vouloir ; moi, je crois que c'était pas justifié. Tu sais, si tu es encore sur le front, j'aimerais que tu rentres. Gilnéas est une terre qui convient plus aux morts qu'à nous.
    Il y a énormément de choses qui se sont passées ces derniers mois, depuis que tu es partie pour rejoindre les troupes. Arthur est en prison ; moi aussi, j'y suis passé. Deux fois. La dernière fois, c'était pour quelque chose qui s'est passé, à Ruisselune... Tu sais ; j'étais là quand ils ont essayé de te recruter, et j'ai bien vu que tu n'étais probablement pas faite pour « ça ».
    La première fois, c'était en tant que suspect pour le meurtre de Nayaa. C'était il y a trois mois, à présent. Elle est à la Marche, si tu veux aller la voir. Lok' est parti s'occuper du type qui a fait ça. Moi, je n'ai pas pu ; il m'a dit qu'elle voulait en finir, de toute façon. J'ai peur de le croire, et pourtant, je sais qu'elle n'était pas heureuse. J'ai fait ce que j'ai pu – mais en vivant comme nous vivions, je crois qu'aucun de nous ne pouvait l'être.
    Lok', Jör' et un autre, que tu ne connais pas, se sont faits frapper. Je soupçonne quelques personnes d'y être mêlées ; notamment celles qui avaient engagé cette femme au masque orange, celle que tu nous avais aidé à identifier. Je pensais que cette affaire avait été réglée, mais manifestement non. J'aurais aimé t'avoir ici à cause de ça. Mais je pense que la ville est... Plus dangereuse, pas physiquement, que le front ; alors, reste.
    Reviens-nous en vie une fois que tu auras atteint ton but,
    Akh'
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    Message  Akhal Mar 4 Oct - 4:27

    Gilnéas, il y a quatre ans.

    Les cloches.


    Elles retentissaient dans le village. Sans s'arrêter. Ses tympans en bourdonnaient ; trop fortes, pensa-t-il avec un certain détachement. Le glas cognait, de plus en plus puissamment, s'insinuant dans les esprits, les marquant ; pour certains, juste pour la journée, ou la semaine, dans le meilleur des cas. Lui allait probablement se souvenir de ce son toute sa vie. Assis sur l'un des bancs, devant la fosse déjà creusée, il ramena ses genoux contre son menton. Il sentait la présence de sa soeur à sa gauche ; était-ce vraiment elle ou bien un autre de ces songes ..? Le crépuscule tombait, déposant la noirceur de la nuit sur la région, comme un linceul aurait assombri un visage.
    On amena le cercueil. Le silence était pesant, les pas lourds, les respirations retenues. Chacun des visages n'était que peine tordue ; il lui sembla déceler chez certains une certaine indifférence, mais il n'en tint pas immédiatement compte. Tendu, il fixait la prison de bois, qui retenait le corps de sa mère. Tout était allé si vite ; en quelques jours seulement, elle avait dépéri. Comment n'avait-il pas pu le voir plus tôt ? Comment avait-il pu rester froid et distant quand elle avait plus que jamais eu besoin de lui – la seule fois où elle ait eu besoin de lui dans sa vie ? Il grogna, légèrement, s'attirant des regards outrés, ou interrogateurs. Ces visages qu'ils ne connaissaient que trop bien auraient dû le gêner à le dévisager ainsi ; il n'en fût rien. Il réalisa soudain ce qu'il voulait réellement.

    La pluie.

    Il ne voulait pas de cette vie contrefaite. Il ne voulait pas de l'argent ; de la reconnaissance ; de la supériorité, de la hauteur. Il comprit que ce soir, quand il l'avait regardée mourir, il n'avait jamais tant ressemblé à son méprisable père : arrogant, fier et hautain. Glacial. Le cercueil vint rencontrer la terre meuble de la falaise ; sa soeur fût demandée pour quelques mots. Il l'entendit sans l'écouter : sa voix, fluette et criante d'innocence jusqu'à plusieurs mois plus tôt, était maintenant sifflante, grave : menteuse. Il ne fût pas appelé. Un à un, tous se levèrent. Il les détailla. Longuement, il observa ces amis de la famille : pas un ne semblait ressentir ce qu'il ressentait. Qui étaient-ils donc pour rester de marbre face à la perte de cette femme qui était morte loin de ses bras ? Ils imposaient leurs distances ; imposaient leurs règles, désacralisaient le lieu de repos de sa belle-mère en y jetant la poignée de terre rituelle. Qui étaient-ils ? Il le savait : des nobles. Comme lui, sa famille. Mais sa belle-mère avait été touchée par la Lumière et avait dû changer. Ou bien elle était simplement déjà différente. Il ne voulait pas de la facilité, il ne voulait pas de la méchanceté ; il rejetait l'hypocrisie et le mensonge. Peu importait la promesse qu'il avait dû faire à la prêtresse : il refusait de devenir ainsi. Tout dégoulinait de suffisance. Ils étaient silencieux, mais leurs yeux perfides criaient « je m'en fiche ».

    Les larmes.

    Avançant à son tour, scruté par des dizaines d'entre eux, il eut l'impression d'être observé par quelqu'un qui se cachait derrière un masque. Ils formaient deux rangs, à chacun de ses côtés, et le laisser passer dans l'allée qui s'était créée, tout droit jusqu'au trou dans le sol : un peu plus loin, il voyait le vide qui l'effrayait, derrière la falaise, et jusqu'à l'horizon, la mer. Il eut une brève pensée pour les histoires qu'il avait aimé entendre – qu'il aimait toujours entendre, sur les pirates, princes des flots et autres créatures marines. Ce temps-là était loin, à présent. Résolu, même. Qui se soucierait à présent d'un rêve dont elle lui promettait chaque soir, auparavant, l'accomplissement ?
    Il saisit entre ses doigts fébriles une mince poignée ; le soir-même, il s'éloignerait de sa soeur et de ses amis pour rejoindre les siens.
    Le pan de terre meuble s'éclata contre le bois alors qu'aussitôt, il tournait les talons pour quitter le promontoire.

    ...

    Gilnéas, de nos jours.

    Il n'avait pensé à regarder sur la falaise qu'aujourd'hui. Le bras droit allégé, il avait voyagé jusqu'ici directement, et avait fouillé toute cette région qui avait été son berceau, et le lieu de son martyr. Puis, se rappelant de cet endroit, à l'est, en hauteur, il avait commencé à grimper. La nuit arrivait à son terme, mais restait ténèbres ; en plus de la panique que la rencontre avec sa soeur provoquait en lui, il avait cette nuit un autre problème qu'Azunaï avait amené dans leurs discussions. La pluie tombait drue, comme des aiguilles qui fondaient sur lui lors de son ascension comme pour le dissuader de continuer : et au fur et à mesure qu'elles roulaient sur son pelage, qu'il lui semblait même qu'elles le perçaient, sa conviction de la trouver se faisait de fer, inébranlable. Où ailleurs pouvait-elle se trouver ? Elle avait choisi la tombe de leur mère pour leur face à face, et, cette fois, il ne se pliait pas aux exigences de sa soeur – il ne s'y plierait plus, à présent ; les stigmates de sa possession sur lui avaient été enlevés le matin même, et c'est l'épaule et l'esprit libres qu'il allait à la rencontre de l'auteure de tout ce qui avait pu se passer depuis la malédiction. Il ne savait pas depuis combien de temps il montait ; seulement que la pente douce où la prêtresse avait été enterrée était bientôt proche, à portée de main. Que bientôt, il pourrait se hisser, et voir, face à la stèle de marbre, sa soeur : Delanya. C'était pour le moment tout ce qui importait.

    Quittant la roche d'une main pour la poser à plat sur l'herbe, il se dressa avec peine. Fatigué, il observa la falaise. Les bancs étaient toujours là ; les traces de pas avait été imprimées dans la terre, comme si on les avait gelées pour qu'elles restent, imperméables, immuables. Il voyait la mer agitée au loin. Il frémit ; l'averse le glaçait jusqu'aux os en plein mois d'août et il se sentait un peu fiévreux, mais il avança dans l'allée, parce qu'elle était là. Grande, un peu plus que lui, vêtue aujourd'hui non pas d'une robe dont elle avait l'habitude de se recouvrir mais d'une légère chemise et une jupe qui tombait jusqu'au sol ; blanche, auparavant, probablement – maintenant souillée par la terre. A ses poignets tintaient plusieurs bracelets, d'or et d'argent. D'un bon pas, déterminé, les yeux fixés sur sa nuque, il vint plus près d'elle. Seules quelques rangées de bancs les séparaient encore quand elle se retourna finalement. Il s'arrêta : non pas qu'il en ait eu l'envie, mais plutôt parce qu'il était tétanisé. Il reprit forme humaine dans un soubresaut, un tressaillement. Et soudain une certitude l'accabla : il allait mourir ce matin. C'était ce qu'il lisait dans les yeux froids et cruels de Delanya, alors qu'ils s'attardaient sur son épaule meurtrie. Au bout d'un long moment qui se passa sans que la pluie ne se calme – il semblait même à Akhal qu'elle redoublait d'intensité, mais il n'en avait cure – elle s'avança à son tour. Calmement, d'abord : avec des pas mesurés. Puis plus féline, plus sauvage, elle accéléra. Elle bondit ; elle frappa, une fois, dans l'un des rivets restants, sous la clavicule d'Akhal. Pas très fort, mais la douleur le surprit : il recula. Encerclant la taille de son frère de ses jambes, elle abandonna la noblesse pour emprunter la folie meurtrière. Elle abattit son poing, plus lourdement, sur l'un des deux rivets qu'elle pouvait atteindre – une fois, puis deux... Elle continua ; il tomba au sol. Sans un cri, silencieusement. Le sang s'échappait en petites gerbes tandis que les clous s'enfonçaient, de plus en plus profondément, dans la chair, raclant les os ; trop grands pour sa forme humaine, elle atteindrait bientôt un poumon. Son bras droit était déjà au sol, et il ne le sentait plus. Il sentait juste la douleur... La tristesse, aussi. Il ne bougeait pas ; il avait cru qu'il saurait se défendre, qu'enlever cette spallière le libérerait : il n'en était rien, et il restait, tétanisé, accusant les coups, attendant le dernier. Il avait cru pouvoir pardonner à sa soeur, comme elle aurait pu le pardonner, et il s'était trompé.

    Et en un instant, tout fût terminé. Il y eut un éclair blanc, un sifflement dans l'air, le sang coula ; et plus rien. Les coups s'arrêtèrent.

    Delanya se releva. La hampe d'une flèche dépassait de son épaule droite, profondément plantée. Elle tituba en arrière, vers la tombe de sa mère. Akhal, tremblant, l'épaule en feu, le bras insensible, resta au sol. Il ne voyait pas qui avait tiré, et ne pouvait pas voir sa soeur. Il entendit seulement son hurlement ; une blessure telle qu'elle n'en avait jamais connu l'avait frappée, et Akhal, fixant le ciel où pointait finalement les rayons de l'aube à travers la pluie, supposa que le mal n'était pas la seule cause de ce cri : l'outrage, peut-être. Autre chose, dans tous les cas. Il ne s'y attarda pas. Trois nouveaux sifflements, trois nouveaux éclairs qui atteignèrent leur cible, à en croire le son sourd et mat qui en résulta. Il posa le coude gauche au sol, pour se redresser légèrement. Sous le choc, il vit sa soeur, quatre flèches plantées dans l'épaule, à l'avant, tituber, avancer jusqu'au précipice qui s'ouvrait sur l'océan. Il tourna la tête : la forestière blonde, son superbe visage déformé par une expression de fureur froide, implacable, bandant son arc sur une cinquième hampe meurtrière ; fermant les yeux, il prit une inspiration. Le vide s'emparait de lui, il lui semblait tomber, tomber – alors qu'il se savait sur la terre ferme.

    Il eût seulement le temps de voir Delanya sombrer, emportant ce qu'il restait de la noblesse de la famille de Galia dans les profondeurs de la mer, avant de perdre connaissance.
    Akhal
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    Message  Akhal Mar 4 Oct - 4:28

    J'ai blessé quelqu'un aujourd'hui.

    Je t'ai cherchée derrière le kiosque, pour aller courir, comme nous en avions convenu, juste après m'être levé ; il était tôt et j'ai conclu de ton absence que tu dormais encore. Alors j'ai couru seul. Quand je cours, ça dure une ou deux heures... Il y avait un petit crachin, c'était désagréable. Je pensais te trouver en revenant. Tu n'étais pas là ; j'ai juste froncé les sourcils, un peu. Donc je suis retourné au lampadaire. Là, j'ai observé les gens. Il y avait pas grand-monde : trois ou quatre gosses qui jouaient déjà, profitant de l'été et de son soleil qui se lève tôt. Je me suis ennuyé, longtemps. J'ai pensé que tu aurais déjà dû venir me voir, parce que toi aussi, tu t'ennuies.

    Mais non.

    J'ai regardé sous la dalle et j'ai trouvé la lettre, et la pierre... Tu m'as encore fait un cadeau, et en même temps dans cette lettre, tu me fais un reproche. Je devrais te rendre tout, être équitable : mais j'ai pas envie de te faire des reproches. Je suis parti hier soir, tu m'en veux ; tu es partie... Et je m'en veux. Alors peut-être que je devrais t'offrir quelque chose en retour, pour que tu reviennes. J'ai pas grand-chose, moi : aucune pierre précieuse, je sais pas tailler les pierres... Et sans toi, je peux pas t'offrir de bracelet. Donc je vais faire de mon mieux avec cette lettre, même si moi et ma verve, ça fait deux, d'habitude... Tu as dû remarquer mon manque de tact, déjà. Alors voilà : je te fais cette lettre, je la pose sur ce muret... Et tu reviens, comme ça... Paf. Tu sais que j'aime pas les trucs magiques, ni les miracles que la Lumière peut provoquer. Mais là, j'aimerais bien que ces mois passés près de cette Cathédrale servent à quelque chose, finalement : te faire revenir.

    J'écris cette lettre a quatre heures du matin. J'arrive pas à dormir, Azunaï va m'engueuler si je la réveille, mais tant pis.

    Près de ton muret, ce midi, je t'ai attendue. La seule personne qui a eu la gentillesse – ou curiosité - de s'adresser à moi, je l'ai blessée. Pas physiquement, hein ! Non ; je lui ai dit quelque chose qui l'a blessée, je suppose. Elle est partie en furie. C'était une garde, une blonde, habillée comme on doit l'être en été. Mais moi, je lui ai dit « dénudée ». Tu vois... Manque de tact ! Je suppose que j'aurais même pas osé dire ça si tu avais été à côté. On aurait pu plaisanter avec cette fille, ça fait longtemps que je la croise, mais jusqu'alors elle me paraissait... Distante, un peu froide. Ben du coup, maintenant, j'ai tout gagné, je crois.
    En fait, j'ai pas blessé qu'elle, alors. J'y ai réfléchi, ce soir, à Sombre-Comté... Finalement, peut-être que je ne t'y emmènerais pas. Elle a encore été attaquée, et un ami à moi a reçu des éclats de métal dans le torse.

    J'y ai réfléchi, ce soir à Sombre-Comté, alors que je cherchais un endroit où je pourrais te raconter ces histoires de Gilnéas que tu voulais, et que tu ne m'as jamais demandé. Je les raconterais que si tu le fais, moi ! ...Oui, j'ai pas blessé que cette blonde. J'en ai blessé une autre, décidément, et de la même manière, presque. Tu m'en veux d'être parti, alors tu es retournée au front. Je crois que j'arrive à comprendre ton raisonnement, pardon de t'avoir laissée avec ce gars-là. J'ai pensé que vous aviez des choses à vous dire et j'ai dû me tromper. J'ai pensé que tu n'avais pas besoin de moi ; que tu aurais préféré n'avoir besoin de personne. Alors oui, je suis parti, comme ça.

    Sans laisser de mot sous la Dalle, excuse-moi.

    Quand tu trouveras cette lettre, je serais au Lampadaire. Normalement. Et si tu reviens pas, j'irais te chercher, et te ramener. Ou bien t'aider. Ça fait longtemps que j'en parle, et ça fait longtemps que... Je repousse, parce que je dois surveiller la Bande. Ou bien peut-être que tu es partie pour oublier, comme tout le monde – dans ce cas-là, je te laisserais.

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    Message  Akhal Mar 4 Oct - 4:28

    Gilnéas, il y a un an.

    Havre-du-soir était calme. La nuit tombée, tous s'enfermaient à double tour ; tous fermaient les volets et chacun s'endormait rapidement, pressé d'être le lendemain et de voir, à travers les lourds nuages, le soleil. Tant qu'il faisait jour, tout allait. Tout était protégé comme il se devait ; des cris d'enfants, des rires, un ou deux marchands itinérants. C'était lorsque la lune était au plus haut que les habitants du village se méfiaient. Lorsque tout, dehors, se faisait discret, indétectable – sournois.

    Butch Duggan allait sur ses vingt-deux ans.

    Ce soir là, il avait décidé de rester un peu plus tard. Il était au courant, évidemment, des disparitions et des traces sanglantes parfois retrouvées au petit matin. C'est pourquoi il s'était armé d'une rapière, de bonne facture. Il n'avait jamais eu à s'en servir, mais il se sentait l'âme d'un combattant. Après tout, l'arme était légère. Il pensa, en la tirant d'un centimètre de son fourreau, que ça ne serait pas bien compliqué.

    Issu d'une bonne famille, il avait été éduqué pour devenir procureur. Il se targuait lui-même de détenir un grand sens de la justice. Il avait grandi dans un milieu aisé et avait pu voir, parfois, la cruauté des hommes envers d'autres. Chaque fois que c'était arrivé, il avait pensé que la mort aurait dû être leur châtiment, si petit ait été leur délit. C'est donc tout naturellement qu'il avait déjà tué. Pas tué de sang-froid, non ; plutôt pour mettre fin aux souffrances d'une femme. Le lendemain de son meurtre – ou plutôt comme de sa Révélation, comme il aimait en parler – il avait rencontré Delanya. Plus âgé qu'elle d'un ou deux ans, cela ne l'avait pas empêché de se prendre au jeu de la séduction avec elle. Son père connaissait le sien, et était influent ici, pour cause : il ne vivait pas à Havre-du-soir mais dans la Cité de Gilnéas, le Centre de la région. Chaque fois que le vieux Duggan venait au village, il houspillait quelques paysans paresseux et donnait assez d'argent à sa femme et son enfant pour vivre jusqu'au mois suivant. Ses visites, en effet mensuelles, ne passaient pas inaperçues. Chez eux, tout était luxe, tout était d'or. Mais à l'extérieur, la sobriété était de mise. Il se tenait très droit, très sec. Strict. Sévère. Habillé simplement, coiffé simplement.

    Ce soir là, il s'était vêtu d'un pourpoint de cuir. Il avait veillé à tailler sa barbe parfaitement, en pointe, comme il savait que cela lui plaisait. Très pointilleux sur ses habitudes, il était sorti à dix-neuf heures et reviendrait chez lui à minuit, très exactement. Il savait que sa vie à moitié nocturne dérangeait sa mère, mais il n'y prêtait guère attention. Il revenait de chez les De Galia pour informer la fille d'où se trouvait son Chien de guerre. Le lendemain, il serait jeudi ; il faudrait alors que tous se retrouvent. Il avait fait passer le mot que, cette semaine, les combats se dérouleraient chez lui, car sa mère allait chez une amie qu'elle n'avait pas vu depuis un moment et qu'elle reviendrait très sûrement tard dans la soirée. La nuit arrivait presque à la moitié, et bien qu'il ne craignait pas réellement les diverses rumeurs qui couraient et les sons étranges qu'on entendait à propos et depuis les bois environnants, il dut s'admettre à lui même qu'un vague frisson le parcourut en regardant les bois. Il jeta un oeil à sa montre de gousset : minuit moins dix. Ce serait rapide, juste un coup d'oeil à l'arbre. Là où il avait attaché son propre Chien. Il referma sèchement le couvercle de l'engin et s'engouffra d'un bon pas dans la forêt. Il avait mis une entaille sur chaque arbre à suivre pour retrouver sa bête. Tout était calme. Il préférait ça.

    Il connaissait exactement le nombre d'arbres à entaille pour avoir suivi ce curieux sentier d'innombrables fois. Vingt-six. Celui où son Chien était attaché était un chêne immense. Il pensait, lui, que c'était l'arbre le plus imposant du coin, situé profondément dans les bois, où personne n'allait. Il se souvenait parfaitement du jour où il avait attrapé son worgen. C'était un lundi matin et sa mère reprenait le travail après avoir accouché d'une petite fille. Butch doutait qu'elle soit totalement Duggan mais il n'avait rien dit et avait accueilli cette soeur à bras ouverts. C'était l'animal qui l'avait trouvé, à la sortie du village, mais assez loin pour ne rien craindre des gardes. Les patrouilles venaient de passer et il se souvenait avoir craint les griffes et les mâchoires. Il avait tiré un fin poignard de sa ceinture et l'avait planté sur le côté de la bête. Puis il l'avait marquée. C'était ce qui avait pris le plus de temps : quel symbole choisir ? Il avait opté pour un brassard de métal. Pour que le Chien ne s'en débarrasse pas, il avait fallu faire fondre chaque extrémité à même la peau, et il avait craint qu'il ne perde l'usage de sa patte droite – à tort.

    Il venait de franchir le vingt-sixième arbre et jetait un oeil neutre, mais attentif, au chêne.

    Les mailles avait été brisées. Son worgen était parti. Il perdit instantanément sa froideur et paniqua. Il fit le chemin inverse, comptant à rebours les arbres, sursautant à chaque hululement. Il peina à trouver le treizième, mais il y arriva au bout de quelques minutes de peur presque incontrôlable. L'animal ne devait pas être loin. Comment la chaîne avait-elle pu être cassée si nettement ? Il posa des doigts fébriles sur l'écorce du Douze.

    La cloche sonna. Le premier coup. Il allait être en retard. Minuit.

    Ce rappel avait eu un effet radical. Il était Butch Duggan, droit, fier, et se devait de respecter les habitudes qu'il avait si méticuleusement placé dans son quotidien depuis quelques années. Il se redressa et se força à garder un rythme de respiration calme, ralentissant son allure de course à celle d'une marche, presque d'une promenade. Plus que onze. Coups et arbres.

    Et dans le silence entre les deux cloches, le seul avertissement fût un grondement sourd ; le bruit mat de pattes qui s'écrasent sur le sol, les craquements de brindilles, les feuilles mortes qui s'envolent et se déchirent sous les griffes. Il tira la rapière de sa ceinture et se retourna au moment où son Chien de guerre bondissait. D'un coup horizontal, il fit perler une ligne de sang sur le pelage de la bête. Il aurait dû attendre avant de frapper.

    Un éclat blanchâtre se refléta sur le brassard et ce fût la dernière chose qu'il vit avant qu'une lourde patte ne se pose sur son visage et lui écrase l'arrière du crâne contre le tronc du Onze. Les crocs se plantèrent dans le cou et le carmin jaillit à flots.

    Minuit une.


    Hurlevent, vingt-six août

    Ils s'étaient tous deux écroulés, presque, ventre à terre, après leur course matinale et habituelle. Cela faisait maintenant une heure qu'ils étaient là, silencieux, couchés sur l'herbe. Il en observait un brin, fixement, cherchant à deviner et à comprendre le moyen de lire l'heure grâce à son inclinaison. Kérubim faisait ainsi ; d'après lui, c'était dû à la rosée. Mais le vent malmenait le brin d'herbe et le faisait changer de position et donc, d'inclinaison, fréquemment. Les mains sous le menton, il pensa qu'il devait peut-être loucher un peu en fixant la verdure, mais il décida qu'il s'en ficherait. Personne n'était là pour le voir, de toute façon, à part elle ; et, au bruit que sa respiration très calme produisait, il supposa qu'elle s'était, de toute façon, endormie. Il n'y avait rien d'étonnant à ça : il l'avait réveillée tôt, encore plus que d'habitude, enjoué et pressé de commencer cette journée, alors que la veille, elle était fatiguée.

    Le brin avait encore bougé. Il jura.

    Un proverbe lui revint en tête : « Quand un arbre tombe, on l'entend. Quand une forêt pousse, pas un bruit. » Il s'était moqué de Farewyr, à l'époque – et s'était d'ailleurs attiré les foudres de Nayaa pour ça -, quand il lui avait conseillé de s'installer près du lac, regarder l'eau miroiter et écouter les plantes grandir, mais n'était-ce pas ce qu'il était en train de faire ? Il fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'il devait faire ? Il avait du mal à s'imaginer comme Farewyr, ou comme Nathan. Il pensa d'ailleurs encore une fois que Nathan ne se serait jamais couché au sol pour observer un brin d'herbe, tout druide qu'il soit. Mais il devait aussi admettre qu'il avait envisagé ça, le fait de devenir comme eux, à partir du moment où le druide rouquin lui avait dit que l'exercice qu'il pratiquait à ce moment-là était la base d'un changeforme. Prendre conscience de son corps. Il y a quelques semaines, il le faisait encore dans l'espoir d'y parvenir et de faire comprendre à son corps que les rivets qui y étaient attachés étaient étrangers et qu'il fallait les repousser. Est-ce que ça aurait marché ? Il devait admettre qu'il en doutait. D'après Darren, le nouveau de la bande, et Nelane, il y avait très peu de chances – voire aucune – pour qu'il réussisse quoi que ce soit dans ce domaine.

    Darren. Depuis qu'il était là, rien n'allait plus. Il lui semblait qu'ils remontaient enfin après les menaces et les tabassages, et qu'ils pourraient appeler Lokrajh par son nom librement, en ville, sans craindre de représailles de qui que ce soit. Mais après l'humiliation d'une fille de la bande, après l'éborgnement d'un type de la bande, après ce sentiment de malaise parfois, sur le parvis, il devait réfléchir. Était-il encore fait pour ses amis ? Il faisait son possible pour les protéger, tous. Il repensa à une conversation, tard, à Hyjal, où la blonde qui se trouvait en ce moment couchée à côté de lui lui avait expliqué le secret du bonheur, d'après elle : regarder autour de soi, s'occuper de soi, et profiter de tout ce qui s'offrait à lui. Au moment où ils en avaient discuté, il ne faisait qu'une chose : regarder autour de soi.

    Il décida que c'était compliqué. Qu'il arriverait ce qu'il faudrait, si besoin était. Il observait ce brin d'herbe pour ses études – tout du moins, un semblant d'études – et, ce faisant, récitait les mots de druidique que Tobias lui avait enseigné, silencieusement. Il menait ces études pour comprendre ce qui l'entourait et faire que ce qui l'entourait l'aide sur le champ de bataille.

    Le conflit à Hyjal était au moins aussi important que le fait que ses amis soient en danger.
    Peut-être devait-il revoir cette option à laquelle il avait déjà longuement réfléchi, il y avait un moment, à la Baie : celle de s'éloigner.
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    Message  Akhal Mar 4 Oct - 4:29

    Il mène la danse, a nouveau.

    Leurs pieds frôlent l'herbe, humide de la rosée du soir, et les brins s'insinuent, chatouillent la peau de sa partenaire. La vie s'éveille autour d'eux, et tels des yeux pour les épier, des points luminescents apparaissent de ci, de là - un nouveau chaque fois que la mélodie gagne en intensité. Il décrit un premier pas après l'en avoir averti ; elle trébuche. Un bras se passe autour de sa fine taille, l'enserre doucement. L'étreinte ne dure qu'un instant - silencieuse, ferme, correctrice. Un regard fait taire l'excuse, l'anticipe et l'accepte. Les deux corps s'éloignent à nouveau ; la valse reprend, plus lentement, plus précautionneuse aussi. Et, sûr de sa position, logé dans son calme, sa sérénité, il s'autorise - enfin - a lâcher prise, et peu a peu, les arbres, la verdure, se flouent - taches vertes au milieu d'un tourbillon de souvenirs dans lequel la voix de sa liée lui parvient encore.




    Son arrivée, son adaptation - tout pouvait s'accorder a la notion de lenteur, une fois arrivé a Hurlevent. La valse n'était pour le moment qu'un mimétisme de son état d'esprit dans le début de l'année.
    Une des chambres du quartier commerçant. La pièce est un chaos miniature : des livres au sol se mêlent à une poudre noire, celle qui sert aux explosifs. Un petit renne ainsi qu'un chien massif se terrent de leur mieux sous le lit, fuyant la folie glaciale de leur maitresse - la blonde qu'il accompagne. Première présence amicale en ces lieux encore synonymes d'inconnu pour lui, il la regarde enchainer une énorme arme a double tranchant a son poignet, méthodiquement, comme un soldat partant au front et faisant taire sa soif de sang jusqu'à ce que l'ordre du massacre soit donné. La pénombre s'interrompt, se déchire contre le reflet du fil de la lame alors qu'elle l'aiguise.

    Tout cesse ; l'espace d'un battement de cils et alors qu'il continue de lui parler, de la sentir, il la revoit clairement.

    Son crâne percute le sol, il perd un instant le rythme de son jeu de jambes, l'équilibre lui manque brièvement. La nuit est tombée, les lampadaires sont allumés et éclairent le couple. La chaleur de la peau, amie jusqu'à maintenant, se glisse dans son cou, l'enlaçant de ses doigts fins. Leurs souffles heurtés se mêlent, elle, hissée sur lui, les yeux émeraude de la blonde sont fixés sur les siens azurs.
    Mortelle.
    Le sang s'accumule, fait battre la jugulaire. Il cherche à tâtons quelque chose, la défie du mieux qu'il peut d'aller jusqu'au bout ; ses pas prennent de l'assurance, les mouvements se font plus amples ; le souffle lui manque – puis il est libre.

    Les deux tournoient, prennent leurs marques, continuent de parler – et dans son inconscient, le jaillissement depuis le passé reprend après s'être évanoui pour permettre au brun de se concentrer pleinement.


    Le Port. Sa hantise, sa crainte cachée – vertige. L'ennui se fait croissant, la lassitude aussi. Un diminutif murmuré, comme un appel, et en réponse, un vieillard, en chapeau, qui se présente. Aussitôt, deux mots lui reviennent en tête : sale et amical. La Bande est évoquée. Quelques paroles, quelques promesses suffisent ; avec un sourire, il accepte. L'épaulière pèse, et bientôt, porter le nom d'Épouvantail, encore plus.

    ...

    Les lucioles sont en effervescence. L'herbe s'aplatit sous leurs pieds, gardant un instant ses brins couchés avant que toujours, ils ne se redressent, comme régénérés. La musique prend son rythme, le goût de la danse – du risque – s'installe en les deux partenaires. Chaotiques, les pas de sa blonde se glissent entre les siens. La main du Gilnéen, découverte et posée sur la hanche de la femme aux yeux gris au mépris des règles de pudeur imposées, se crispe un peu, fait frissonner l'épiderme, se convulse et se rouvre, hésitante ; toujours guide malgré tout, il continue ses vastes rotations, l'entraînant dans son sillage, faisant s'écarter les insectes à leur passage et évitant par miracle tout rocher qui provoquerait la chute – osmose des gestes.


    La valse s'affole, leurs jambes deviennent brume, légère, insaisissable. Les rotations se raréfient, les simples pas, d'avant en arrière, sur les côtés, sont privilégiés – au diable l'élégance, au diable l'ordre, au diable la douceur. Tout est proximité, tout est provocation, tout est sourire, tout est
    Chaos.

    Un corps retrouvé au cimetière, planté, plusieurs fois, dans le ventre. Le carmin a jailli sur le marbre de la tombe, la face d'ordinaire joyeuse n'est plus que calme, froideur, rigidité. Il prend la rousse inerte dans ses bras. Il dévore sa blonde du regard, lance une pique – elle rétorque, ardente. Le feu éclate, la chair grésille, le temps passe et les cendres volent dans le lac – l'eau de la Marche est le repos de la pyromancienne, le sabre, sa tombe.
    Les geôles, le calcul, la manipulation. Le meurtrier retrouvé, emprisonné avec lui, tous deux suspects. Il est déchiré, il désire la vengeance, il désire le calme, il désire la fin, et ne désire plus rien.

    Les mèches blondes et ébènes se mêlent, parfaites antithèses et pourtant complémentaires. Les violons sont stridents, l'air suffocant, torride presque, rythmé – trop, peut-être. Le souffle leur manque, les jambes s'usent, l'herbe ne se relève plus. Les peaux s'échauffent, restent en contact, l'étreinte ne se brise plus et l'échec menace.

    Les retrouvailles ont été brutales et pétries d'amertume, de rancoeur et ce de chaque côté. Il dit être prêt à la pardonner quand en réalité il n'est sûr de rien. Un avis de recherche – Svhenja l'interpelant, lui demandant de la suivre. Il se souvient du poids de Kryss sur le dos, et de l'erreur qu'avait commis le Carnet en interpelant le brun par son nom, dans la Vieille Ville. Il se rue sur le larbin de sa soeur ; le gnome à la crête verte intervient, sèchement ; coup sur le crâne.
    Réveil en geôles. Il cligne des yeux.
    Souvenir vibrant de haine, de dégoût – l'image de sa soeur, striée de barreaux, l'épiant depuis les escaliers, un sourire glacial aux lèvres avant de retourner minauder auprès des gardes, au rez-de-chaussée. Puis un long passage à vide ; peu de visites ; peu d'attention, peu d'espoir de survie, aussi. Solitude. Les pierres suintantes d'humidité et de moisi s'évanouissent, fondent, révèlent un décor de bois.

    La Bande mise à mal. La promesse est malmenée ; Sombre-Comté, la nuit tombée, comme toujours. Il s'enferme à double tour dans une des chambres, tire le communicateur de sa ceinture ; grimace, porte une main au bandage de fortune, vestige récent de la griffe d'un plaie-de-nuit. Il doit faire vite – Azunaï attend. Il allume l'appareil, s'approche d'une fenêtre pour regarder en direction de la Ville, refusant d'imaginer la scène qui correspond au vacarme qui envahit la chambre : une détonation, des cris. Silence. Crépitements. La voix de Lok', de John, de Drake, de Jör' – et celles d'amis, qui eux ne savent pas. Une pensée, une seule, pour la démoniste menottée à la Caserne, avant de finalement éteindre le communicateur et sortir de l'auberge.


    L'équilibre se fait – tant dans l'air que dans la danse. La cloche du Temple sonne la mi-nuit. L'activité est à son paroxysme dans la ville des Elfes de la Nuit. Seuls deux sont détachés, hors du temps et de l'espace, parlant toujours, longuement. Taquins, ils ralentissent leurs pas fous, restent proches, sages. Il émerge pleinement ; les lumières organiques stagnent, dans l'air, comme immobiles, figés, tout autour d'eux, illuminent la pièce, subliment le couple. La musique s'arrête. Coordonnés, fusionnels ; ils tournent, perdent toute raison, juste un instant, concluent leur valse – hymne à l'espoir, symbole de renaissance, transcendant la danse, frôlant la perfection contradictoire : lui, sombre, elle, éclatante.

    Ils mènent la danse.
    Akhal
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    Message  Akhal Jeu 13 Oct - 7:28

    La pluie.
    Les cloches, à nouveau.
    Il fronce les sourcils.

    Gilnéas. Il observe la bête se mouvoir sur les toits, glisser sur les ardoises et s'y raccrocher de justesse. Il fait nuit ; seuls quelques traînards sont encore dans les rues. Les papiers jonchent les dalles des rues, volent au vent ; certains viennent même se coller au pelage du worgen qui n'en tient pas compte. Les gouttières débordent et se déversent en bas, trempant les linges étendus sur un fil et qui devraient être en train de sécher. Sa proie lui a visiblement échappé et il retrousse les babines, ravalant le hurlement qui roulait déjà dans son poitrail, menaçant, aigü – pour faire venir les autres. Pas ce soir. Sa proie est sienne.

    Il attend que la ruelle se vide et se laisse glisser au sol, souple, silencieux. Il observe les lieux et se met en route, ventre à terre, aux aguets. Il est en chasse. Il arrive à pister l'odeur facilement. Rance, pourrie, douceâtre et fétide. A l'image de celui qui la porte et contrastant facilement avec celle de la pluie. Aussi claire que si la trace était peinte au sol. Il la suit, accélérant l'allure. Seul un grognement lui échappe au bout d'un moment alors que l'impatience se rive à son esprit ; la rage s'élève, et ça se voit.

    Personne aux fenêtres. Akhal distingue depuis la rue d'autres ombre, là-haut ; puis regarde à nouveau la bête, s'efforçant de suivre. Le rythme de la course est effreiné et ils doivent avoir traversé la moitié de la ville, à présent. Personne aux fenêtres. Tout est affreusement silencieux alors que le worgen dérape au beau milieu d'une rue principale pour s'engouffrer dans un boyau. D'après ses souvenirs, c'est un cul-de-sac. Il suit. Ici, pas de linge, même pas une fenêtre qui donne sur l'impasse. Les murs sont hauts et dégoulinent tandis qu'au sol, une tonne de déchets s'est amoncelée. Alors que la pensée dégoûtante qu'un homme puisse vivre ici traverse l'esprit d'Akhal, elle est confirmée par un gémissement déchirant. Pas un gémissement de douleur. Plutôt celui d'une terreur profonde.

    Les cloches sonnent une, deux fois.

    Le worgen se redresse lentement sur ses pattes arrières alors qu'il s'avance vers sa proie, savourant sa peur comme on se délecterait d'un festin. Il montre les crocs et joue des doigts, fait luire les gouttes au bout de ses griffes, au clair de lune. Ce n'est plus un homme, en face. Une coquille de chair qui fixe son bourreau, suppliante. Pas de fierté, pas de courage. Il a déjà abandonné.
    Il bondit.

    Trois, quatre, cinq fois ; plus rapidement. Assez de temps pour déchirer la gorge et sentir l'os râcler contre les dents ; assez pour le mettre en charpie, déverser sang et tripes. Le sans-abri a bien essayé de crier, d'appelé au secours ; mais tout s'est terminé en un gargouillis et en gerbes de fluides. Les murs sont maculés et la pluie porte le carmin du fond de la ruelle jusqu'aux caniveaux, plus loin. Le monstre laisse libre cours à son envie de tuerie bien après que sa cible ait expiré. Quand il se redresse, essouflé, ce n'est plus qu'un tas de chair informe qui se trouve sous ses pattes. Akhal fixe la scène. Horrifié.

    La Bête se tourne vers lui et détale après son meurtre sanglant ; il aperçoit l'éclat de ses yeux. Un éclat saphir.


    Il s'éveille..
    Akhal
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    Message  Akhal Dim 6 Nov - 16:28

    Ta mère est morte, mon garçon. Et aucune de tes questions ne la fera revivre. File te coucher.

    Gilnéas, il y a dix-huit ans


    La maison était trop grande pour une seule femme et elle se répétait cette unique phrase depuis une bonne heure, montant puis descendant les escaliers inlassablement. La nuit était tombée depuis un moment et elle aurait dû vérifier que Delanya dormait. Mais elle ne cessait de s'inquiéter pour son fils et il occupait ses pensées. A seulement deux ans, il était déjà gravement malade. La fièvre était montée en seulement deux jours et son mari avait dû l'emmener en urgence en ville ; ils étaient partis quelques heures plus tôt et elle ne les attendait pas avant au moins le lendemain soir. Le voyage jusque là-bas était long, même en calèche, et elle supposait qu'il ne serait pas soigné en peu de temps. Elle remonta les manches de sa robe et s'arrêta au sommet des escaliers, pour regarder par la fenêtre qui faisait directement face au hall d'entrée.

    La bâtisse avait été construite à moitié sur la falaise. Il s'agissait d'un rachat ; au départ, elle était beaucoup plus petite, et le bois de bien moindre qualité. Ils l'avaient agrandie vers l'arrière, malgré le fait que l'érosion d'année en année de la falaise risque, un jour où l'autre, de faire lâcher les fondations et que tout s'écroule dans la mer qui se trouvait juste en-dessous. Ils aviseraient suivant la situation. Ils avaient bien assez d'argent pour en racheter une autre, même si elle devait être plus modeste. C'était bien l'un des seuls problèmes qui pouvaient encore l'inquiéter, elle qui avait tendance à vivre au jour le jour : une maison détruite emporte avec elle des années de souvenirs.

    La pluie tombait drue. Elle remercia d'une pensée son mari de ne pas avoir insisté après avoir proposé de partir en cheval ; le temps n'aurait pas arrangé l'état d'Akhal. Le voyage se passerait bien. Au-dehors, les vagues furieuses de l'océan créaient des reflets, des ombres ; et de là, on voyait ces mouvements comme ceux d'un gigantesque animal marin, menaçant. Elle secoua la tête.

    Elle posa la main sur le carreau tandis que l'autre se portait à celles qui s'étaient resserrées autour de son cou. La peau était douce, mais glaciale. Elle n'avait rien entendu, rien senti venir ; elle faisait pourtant, d'habitude, confiance à cette sensation dans la nuque, les cheveux qui se hérissent, ce frisson annonciateur du danger ; mais là, rien. C'était comme s'il n'y avait rien eu d'autre que ces mains. Aucun corps auquel elles seraient reliées. Aucun poids à ressentir, qui aurait fait fléchir légèrement plus les lattes du parquet – elle l'aurait senti. L'étau se resserrait ; l'air manquait. Le sang battait à tout rompre à ses tympans et la jugulaire s'emplissait, palpitait. Elle suffoqua, s'affaissa.

    Les doigts meurtriers, implacables, ne lui laissèrent aucun répit. La paume glissait sur la vitre dans un crissement sonore. Au loin, on entendit la première heure du matin sonnée au clocher de Havre-du-soir. Elle essaya de crier ; d'appeler à l'aide. N'importe qui. Mais le tueur étouffait chaque son. Elle aurait voulu se retourner, avant de perdre connaissance. Elle aurait voulu voir qui lui ôtait la vie sans avertissement et sans raison réelle ; elle n'en eût pas l'occasion.

    Quelques minutes plus tard, la silhouette se redresse, emmitouflée de noir. L'on ne voit que son visage. Elle reprend son souffle après avoir vomi son dernier repas. Elle ne se ferait jamais à cette sensation ; ce vide dans le coeur, avant que sa victime ne rende son dernier souffle. Qui était-ce pour juger qui devait vivre ou mourir?.. Peu importait. L'assassin devait survivre et atteindre son ambition, et cette femme avait été le dernier obstacle à franchir. Il attrape le corps par une cheville et le jette dans les escaliers, la suivant dans sa chute. Ça produit un vacarme monstrueux ; quelques os se brisent, ça craque. Les marches sont impitoyables et lorsque la femme s'y percute, des plaies s'ouvrent.

    La porte d'entrée refermée, il fuit vers le village. Personne ne l'aura vue, cette ombre ; personne, si ce n'est cette paire d'yeux bleus encore innocents en ce temps, plongés dans le noir de l'étage où le meurtre aura eu lieu.


    Carmines, troisième jour du onzième mois


    Le petit matin n'est pas très loin, mais il n'aura pas dormi de la nuit. Frissonnant, il aura gardé ses épaules et celle de la blonde, dénudées, couvertes de la couverture poussiéreuse, qu'ils n'auront pas le temps de nettoyer avant de repartir vers le nord. Il gronde bas, comme elle aime qu'il le fasse avant qu'elle ne s'endorme. Lentement, presque prudemment, il écarte un bras du corps de sa liée et, la gardant au plus proche, l'étreinte continuant d'un bras pour lui, des deux pour elle, se retourne. Pour cette nuit, il lui accorde toute la place du lit. Elle proteste vaguement alors qu'il s'éloigne un peu ; il tâtonne au sol, jusqu'à attraper son pantalon, et extirpe d'une poche une simple bague.

    Aussitôt fait, il revient contre elle, fixant par-dessus son épaule le bijou qu'il fait tourner entre ses doigts. Il oublie les problèmes liés au Perchoir ; il sait déjà qu'en revenant là-bas, le manoir serait maussade et méfiant, et les gens qui s'y trouvaient d'habitude bons vivants – pour la plupart – et enjoués, se feraient silencieux, et douteraient de tous.

    Non, pour cette nuit, il ne réfléchira pas à leur sécurité ; mais à la bague.
    Akhal
    Akhal


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    Message  Akhal Lun 14 Nov - 17:56

    Matinée, sous l'arbre de Darnassus. Parmi les réfugiés gilnéens, et l'agitation relative par rapport aux habitudes - due au départ d'apprentis vers Reflet-de-Lune - deux êtres sont parfaitement calmes et assis, en tailleur. L'un examine l'autre, presque impérieux. Son visage marqué respire la sagesse et la sérénité: sa chevelure d'un vert sombre cascade dans son dos et encadre ses traits; quelques mèches ornées de perles et de plumes tombent devant les rides de sa face. Directement devant lui, à un ou deux mètres peut-être - Akhal. Ayant abandonné ses grands yeux curieux et insouciants, il arbore aujourd'hui un air sérieux, très.. Trop. Les pupilles brillent de détermination et la malice d'habitude perceptible tout au fond, au moins pour les proches qui arrivent à percer la neutralité épaisse qui la voile, a disparu. Le sujet a l'air grave, ou au moins ardu.

    « Je pourrais pas continuer a Darnassus. Il faut que je retourne sur l'autre continent, bientôt. Heïtys refuse que j'abandonne ; je vous ai déjà parlé d'elle, non? »

    L'elfe hoche la tête lentement en laissant l'humain continuer - comme d'habitude.
    « Je veux pas abandonner non plus. Je veux pas avoir commencé pour rien et ça fait déjà quelques mois que j'étudie votre langue sans avoir a la parler. Je vous ai déjà donné mes motivations. Je suis peut être pas prometteur en tant que druide mais est-ce qu'il y aurait moyen de continuer seul?..
    -Non, jeune Akhal. »

    La réponse est tranchante et anéantit tout espoir.

    « Tu l'as dit : tu n'es pas prometteur. Là où tous ont réussi à faire émerger leur pousse de la terre, la tienne est restée désespérément dessous et cherche encore à en sortir. Tu n'es pas allé à Reflet-de-Lune et il y a de bonnes raisons à cela. Ta volonté est plaisante a voir: malheureusement, elle ne suffit pas. Seul, tu n'arriverais a rien. »

    Akhal accuse et, s'il ne répond pas, il ne fait aucun doute que les paroles l'ont atteint, et profondément. Il baisse les yeux et ce sont des souvenirs qui y défilent: rabaissement et promesses qu'il serait voué à l'échec. C'était il y a quelques années et pourtant de toute évidence, la blessure reste à vif. Il gronde bas, montre la colère pour cacher la tristesse.

    Son interlocuteur en sourit.

    « Mais comme tes congénères maudits, tu n'es pas seul. Tu portes en toi la fureur animale, les crocs et les griffes; le rugissement ralliant la meute; tu as l'esprit du dominant et du meneur: la divinité Goldrinn.
    -La Bête.
    -Comme tu l'as deviné dès le début de ta formation, et comme tu me l'as dit en arrivant, tu peux t'aider du lien à la Bête. Tu peux remonter ce fil jusqu'à elle et briser les murs qui vous séparent l'un de l'autre. »

    L'elfe lève un bras, et extirpant sa main ridée et parcheminée de son ample manche, pointe le Gilnéen du doigt.

    « La Bête et toi, jeune Akhal, ne serez plus qu'un - ta chance par rapport aux autres est que votre relation est étroite. Tu restes silencieux lorsque l'on parle du passé et je respecte cela, mais force est de constater que ton choix d'abord porté sur la forme ursidée, ton comportement, ont été directement influencés par ce que tu as vécu a Gilnéas. Et la seule alternative au druidisme que je puisse te proposer est de te concentrer sur cette sauvagerie qui te caractérise.
    Tu abandonneras toute autre voie. Là où les autres seront polyvalents, tu seras le concentré de rage ; tu seras la morsure et la griffure, la charge et le bouclier. Jeune Akhal, je te fais une faveur en prenant ton cas tant à cœur; en échange, je te demanderais patience, et attention. Sauras-tu m'être redevable et me donner, même si ce n'est autant d'efforts que j'en fournirais, au moins la moitié? Puis-je avoir confiance en toi pour devenir mon apprenti?.. »


    Akhal marque un temps. Sans regarder son interlocuteur, il acquiesce. La gorge est sèche cependant: le fait qu'il ne soit pas capable de lancer un quelconque sort et ce définitivement l'a frappé comme une gifle et il accepte la proposition du vénérable druide plus par réflexe que par véritable choix.

    « Oui. Oui, évidemment! Pourquoi je pourrais pas?.. Je suis capable d'y arriver. Je travaille dur depuis le début. Je suis d'accord, il y a pas besoin d'y réfléchir. Qu'est-ce qu'il faudra que je fasse? Ce sera surement plus compliqué et plus dangereux qu'une formation normale, non?.. Vous ne le faites pas par pitié, au moins? »
    L'elfe lève une main, demandant silence.
    « Non, pas par pitié. Il est temps pour tous d'entrer dans l'échiquier: peu importe que le pouvoir de chacun soit moindre ou énorme. Quand l'heure viendra de frapper le Destructeur et soigner cette terre, tu répondras à l'appel. Quant au comment?.. Je t'accompagnerai via le Rêve d'Emeraude. Ta compagne est avisée. Cependant, pour la première incursion, je t'aiderais. Tu dois pouvoir reconnaitre ma présence et avoir assez confiance pour la suivre, lorsque je viendrais te chercher - autrement dit, toutes les nuits. »

    L'elfe de la nuit se redresse, à genoux, et presque paternel, pose les deux mains sur ses épaules et le fixe:
    « Prêt, jeune Akhal? Regarde-moi. Je vais te montrer. »


    Le Gilnéen s'exécute, et revêche, plonge ses yeux azurs dans ceux d'argent de son mentor. Aussitôt les paupières des deux se closent : l'esprit est happé par l'autre, vrillent un moment les deux protagonistes tandis que les esprits s'harmonisent. Le corps s'endort, sommeil artificiel, alors que leurs âmes deviennent errances dans le Royaume d'Emeraude dans le clignement d'un oeil immatériel.

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